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François Gemenne : « Il faut tout tenter, maintenant ! »




Chercheur en géopolitique de l’environnement, spécialiste des migrations climatiques, auteur et professeur à HEC, François Gemenne revenait fin 2024 de la COP29 avec un constat limpide : face à l’urgence climatique, il ne faut plus opposer les solutions mais les additionner. Il plaide pour une adaptation globale, équitable et pragmatique.


Vous rentrez de la COP29. Qu’en retenez-vous, où en sommes-nous ?

François Gemenne – J’aimerais qu’on cesse de décrire les COP comme des « grands-messes ». Ce sont les seuls organes de gouvernance capables de traiter un problème global sur le long terme. Cette année, la COP s’est surtout concentrée sur les questions de financement. L’objectif affiché était de définir des moyens concrets pour aider les pays du Sud à s’adapter au changement climatique. Mais au final, nous avons surtout assisté à des négociations symboliques autour d’un chiffre – 1300 milliards de dollars – qui ne dit pas grand-chose en lui-même, si ce n’est l’ampleur des inégalités Nord-Sud. Pendant ce temps, on n’a pas discuté des vraies solutions à mettre en œuvre dès maintenant.


Quelles seraient ces « vraies » solutions ?

F.G. – L’adaptation passe par trois leviers : techniques, politiques et comportementaux. Du côté technologique, de nombreuses innovations existent déjà, notamment dans l’industrie lourde. Politiquement, un immense levier reste sous-exploité : la fiscalité. Il faut intégrer le coût environnemental dans les prix. Enfin, il y a bien sûr les comportements individuels. Ce sont les trois piliers, et tous les acteurs – États, entreprises, citoyens – doivent s’en saisir.


Mais tous ces leviers ne se valent pas. Qui doit agir en priorité ?

F.G. – Je comprends cette volonté de hiérarchiser les responsabilités. Mais on ne peut plus se permettre de choisir. Il faut tout tenter, maintenant. Cela dit, nous devons aussi être pragmatiques : agir là où les coûts d’abattement des émissions sont les plus faibles. Très souvent, c’est dans les pays du Sud. Investir là-bas, c’est maximiser l’impact de chaque euro investi. Et en France, il faut se concentrer sur les secteurs les plus émetteurs : transport, agriculture, logement, industrie.


Et l’Europe dans tout cela ? Est-elle sur la bonne trajectoire ?

F.G. – L’Union européenne a réduit ses émissions de 8,3 % en 2023. C’est encourageant, mais en partie dû à un hiver doux. La réalité, c’est que les efforts deviennent de plus en plus difficiles à mesure qu’on avance. Et surtout, nous ne pouvons pas nous contenter de réduire les émissions sur notre seul territoire. Une grande partie de notre empreinte carbone est externalisée à travers nos importations ou nos multinationales. La France, par exemple, est au cœur de la production mondiale dans des secteurs clés : ciment, acier, transport maritime, énergie... Nous avons donc un rôle immense à jouer, au-delà de nos frontières.


Un autre levier que vous évoquez est celui de l’épargne. Pourquoi ?

F.G. – L’épargne des Français représente entre 6000 et 8000 milliards d’euros. Rien que les contrats d’assurance-vie, c’est plus que l’ensemble des investissements mondiaux dans les énergies bas carbone en 2024 ! Cet argent finance encore trop souvent des projets polluants, sans que les épargnants en soient conscients. En réorientant ne serait-ce qu’une petite fraction de cette épargne vers la transition, on pourrait changer la donne. Mais pour cela, il faut une offre bancaire plus transparente et des conseillers qui jouent le jeu.


Vous semblez plus confiant dans le monde économique que dans le politique…

F.G. – Malheureusement, oui. Les démocraties occidentales sont gangrenées par le populisme et la désinformation. Il est devenu possible d’être climatosceptique et de se faire élire. Aujourd’hui, je place davantage d’espoir dans les entreprises et les collectivités. Sur le terrain, je vois une transition à l’œuvre, à bas bruit, portée par des choix courageux. Ce sont ces actions concrètes qui me rendent optimiste.


Et localement, par où commencer ?

F.G. – Les collectivités ont deux leviers majeurs : le transport et la rénovation thermique des logements. Il faut offrir des alternatives crédibles à la voiture individuelle, penser l’aménagement du territoire, et rénover massivement les bâtiments publics. Non seulement on réduit les émissions, mais on améliore aussi le quotidien des habitants. C’est ainsi qu’on réconciliera écologie et justice sociale.


François Gemenne sera l’invité exceptionnel du festival Faites Echo du 15 au 17 mai 2025, et tiendra une conférence sur comment dépasser l’éco-anxiété, animée par le média Sans transition ! Le 17 mai à partir de 13h30.

 
 
 

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