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Francis Hallé, Ernst Zürcher : « L’intelligence des arbres, clé de la transition forestière »

Le botaniste et biologiste Francis Hallé et le scientifique et ingénieur forestier Ernst Zürcher réfléchissent depuis longtemps à l’avenir des forêts à l’échelle planétaire. À l’occasion de leur venue sur le territoire pour la soirée Utopia du 4 décembre 2024, ils sont revenus sur notre conception des forêts et leur capacité à s’adapter au changement climatique. Morceaux choisis de cet échange qui nous plonge aux racines de notre rapport aux écosystèmes forestiers.



Qui sont les arbres ? Comment les définir ?

Francis Hallé : J’ai travaillé très longtemps à la définition de l’arbre. Plusieurs me plaisaient bien. Mais immédiatement, après je trouvais des exceptions gigantesques. Ça s’est reproduit plusieurs fois. Désormais, j’ai décidé de laisser tomber la définition du mot « arbre ». D’ailleurs quand je dis « arbre » je pense que tout le monde voit bien ce que je veux dire. 

Ernst Zürcher : Je crois que notre problème, c’est de vouloir définir les choses, de vouloir leur donner une finitude. Alors que les arbres par essence sont pratiquement infinis au niveau terrestre, ou voudraient l’être, et encore plus au niveau cosmique. Ils ont des connexions absolument impressionnantes. Donc définir un arbre c’est contre-nature.


Vous dites que l’arbre n’est pas un individu mais plutôt un « être collectif » expliquez-nous ?

FH : Nous connaissons assez mal les arbres. On en observe tous les jours, à la ville mais aussi à la campagne. Ce sont des êtres familiers. On a l’impression qu’ils sont très bien connus. Eh bien, à mon avis pas du tout. Tout d’abord ce ne sont pas des individus. Vous et moi sommes des individus. Cela veut dire que si l’on nous coupe en deux parties égales c’est terminé. Individu ça veut dire indivisible. Tandis qu’un arbre si vous le coupez en deux, avec un peu d’adresse, ça fait deux arbres. Si vous me donnez un sécateur et du temps, je peux vous en obtenir un million à partir du même arbre. Tous vivants. Donc c’est divisible. Ce n’est donc pas un individu. En plus, selon les dictionnaires de biologie, un individu n’a qu’un seul génome. Moi j’ai mon génome, Ernst a le sien et vous avez le vôtre. Cela n’est pas comme ça pour les arbres. Il y en a beaucoup, notamment dans nos régions, qui affichent jusqu’à 100 000 génomes. On obtient ainsi quelque chose de complètement différent de l’individu. Le terme d’individu ne fonctionne pas avec les arbres. Ce sont des colonies.

EZ : Concernant cette plasticité du génome, nous avons déjà des exemples concrets. Par exemple, le sapin blanc est une espèce qui apprécie les climats océaniques, humides, pas trop chauds, comme dans la chaîne du Jura. Mais aussi dans d’autres régions d’Europe, en basse altitude. Nous avons également du sapin blanc au fond du canton du Valais en Suisse. C’est la région la plus aride des Alpes centrales, c’est le début de la Provence. Là-bas, on a quelques endroits ou le sapin blanc pousse malgré un climat absolument impossible pour tous ses frères et sœurs d’ailleurs. Pourtant il est là, en pleine forme. Ainsi, au sein d’une même espèce, on a déjà à disposition un patrimoine dont on peut se servir s’il s’agit de replanter. Or c’est toujours mieux de laisser agir la dynamique naturelle et donc de laisser les forêts s’adapter aux changements.


Avec les évolutions climatiques particulièrement rapides de ces dernières décennies, les arbres auront-ils seulement le temps de s’adapter à ces changements ?

FH : Comme les arbres n’ont pas un unique génome, ils ne vont pas tout simplement mourir. Ça plairait beaucoup à Darwin car ils ont à l’intérieur de leur propre structure toute la variabilité possible. Si le génome actuel n’est plus adapté au nouveau climat, je pense que l’arbre va le mettre au repos. Et il y a dans cette colonie de génomes, un génome mieux adapté au nouveau climat. J’aime à y croire mais cela reste une idée car nous n’avons pas encore suffisamment vécu le changement climatique pour avoir des certitudes. Tout ça va être très intéressant.

EZ : Le fait qu’ils soient là de manière aussi splendide et qu’ils constituent des communautés aussi riches après ces millions d’années d’évolutions est déjà une réponse je pense. Il est très important de comprendre quelles sont les parties les plus souples et réactives de la forêt. Ces zones, ce sont les lisières forestières, c’est-à-dire l’interface entre la forêt fermée qui protège son intérieur, qui aimerait avoir les sols toujours au frais, qui stockent l’eau de manière exemplaire et l’extérieur qui est beaucoup plus difficile. Cette enveloppe forestière est constituée d’une autre flore forestière, différente de l’intérieur de la forêt qui est au climax, autrement dit la fin de son évolution. Cette lisière est constituée d’arbres, d’arbustes, d’arbrisseaux qui sont des essences de lumière, de chaleur adaptés à des sols secs, très riches en graine et en fruits etc. C’est là-bas que ça se joue. Il y a une très forte dynamique en combinaison avec la faune, qui interagit avec le végétal. La faune enrichit, elle se sert et dynamise la croissance végétale. Cette lisière est extrêmement réactive et c’est là-bas qu’il faut observer ce qui se passe car c’est là-bas qu’elle va pouvoir s’adapter. Donc il faut laisser le jeu se faire. Donnez aux forêts des lisières s’il vous plaît !



 

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